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La meute des bien-pensants veut la peau du comptable d'Auschwitz
La meute des bien-pensants veut la peau du comptable d'Auschwitz

Dieu que le Français lambda est mauvais, aigri et méchant. Depuis ce matin, il s'est trouvé une nouvelle tête de turc en la personne d'Oskar Gröning, nonagénaire et accessoirement obscur auxiliaire comptable de Auschwitz de 1942 à 1944. Sur les forums de discussions internet, le Français lambda n'a pas de mots assez forts pour juger la bête immonde : "Pas de pitié ! Il est responsable ! Peu importe son âge ! Il doit payer"... Le Français lambda est remonté. Il veut la peau du SS qu'on lui donne en pâture. Il est comme ça, le Français lambda, il réagit à l'émotionnel. Tout lui revient comme du chou : "Nuit et brouillard", "Shoah" (qu'il n'a jamais regardé jusqu'au bout, mais qu'importe), les plaidoyers de BHL contre la barbarie, la moustache et la mèche qu'il n'a jamais eu le loisir de voir pendues au bout d'une corde... Alors ce Oskar Gröning, quelle aubaine ! Un SS qui a trié les billets de banque des déportés, c'est tout ce dont le Français lambda a besoin pour accomplir son devoir républicain et lutter à sa façon (c'est à dire assis confortablement devant son écran) contre l'antisémitisme comme le pouvoir exige de lui.

Seulement voilà, les choses ne sont pas aussi simplistes. Tout d'abord, c'est Oskar Gröning lui-même qui a décidé de sortir du silence confortable dont il jouissait devant la loi pour témoigner de l'horreur qu'il a vue. Sans cette volonté de sa part, l'homme continuerait à couler des jours paisibles loin du fracas de l'épuration. Gröning est l'archétype du pauvre type embarqué dans une histoire qui va le dépasser avant même qu'il ne s'en rende compte : né en 1921, il a 12 ans quand Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. Son père, nationaliste convaincu, fait partie des Stahlhelm, les fameux "Casques d'Acier", corps francs nés après la défaite allemande de 1918. Autant dire qu'il ne grandit pas dans un milieu modéré. Après avoir goûté aux joies des colonies de vacances des jeunesses des Stahlhelm, le jeune Oskar se retrouve versé dans les jeunesses hitlériennes. En 1939, il a 18 ans et est aspiré de force comme toute sa génération dans la guerre. Il a 21 ans quand il est affecté à Auschwitz pour effectuer "une tâche difficile" comme lui expliquent ses chefs ; tâche dont il ignore toute la teneur avant son arrivée au camp. L'intégralité de son adolescence et de sa jeune vie d'adulte a été placée sous le signe de l'idéologie nazie. Il pourrait alors se satisfaire de l'horreur qu'il découvre à Auschwitz. Pourtant, non... Il ne s'y fait pas. Il demande à plusieurs reprises une mutation dans une unité combattante à la suite des atrocités qu'il y voit. Hélas pour lui, ça lui est refusé. Alors il reste. Qu'aurait-il pu bien faire d'autre ? Le Français lambda, lui, sait : il aurait fallu que, seul contre tous, il rompe son serment, se révolte, déserte, fasse évader les prisonniers, au bas mot. Pour montrer sa bonne foi, on aurait sans doute aussi aimé qu'il ourdisse à lui tout seul un complot contre Hitler, renverse le régime en célébrant le shabbat devant l'entrée de la chancellerie de Berlin par compassion pour les victimes qu'il a vues mourir. En bref, on attendait que l'obscur Oskar Gröning fasse du haut de ses 23 ans ce qu'aucun des généraux d'Hitler n'a jamais eu l'audace de faire mis à part les rares conjurés du 20-Juillet qui ne firent pas de vieux os malgré la logistique dont ils jouissaient.

Après plusieurs demandes, Gröning finira quand-même par être muté vers une unité combattante en 1944. Il sera blessé au combat, chose qu'il ne risquait guère derrière son bureau de comptable à Auschwitz.

Le Français lambda se soucie peu de ces détails de l'histoire. Peu lui importe que l'obscur Gröning ait vécu ses premières années pétri d'idéologie nazie, entre le Stahlhelm et Mein Kampf, et qu'à 23 ans, il n'ait pas eu assez de bouteille, de recul et d'esprit critique pour se rendre compte que l'histoire dans laquelle il était embarqué allait devenir la lie de l'humanité. Il fallait qu'il sache, un point c'est tout ! Il découvrit à Auschwitz la réalité du programme d'extermination nazi ? Peu importe, il eût fallu qu'il sache avant ! C'est ainsi ! Face à l'abomination dont il a été témoin, il exprime ses regrets, il accepte sa culpabilité, il témoigne. Il était un agent administratif, mais il reconnaît sa culpabilité et il regrette. Mais il y était, donc comment pourrait-on croire en ses regrets ? Il peut demander pardon pour tout, personne ne le croira. C'est comme ça. En cela, en tout cela, il est coupable. Comme il est coupable de ne pas s'être soulevé, tout seul, contre ses supérieurs.

Le Français lambda, lui, sait se soulever contre l'ignominie. Lui, descendant direct des résistants, surtout ceux de la 25ème heure, il n'aurait jamais plié face à la barbarie. Lui résistant, il n'aurait jamais mis le genou à terre. Lui résistant, il aurait chanté la Marseillaise et crié "Vive la République" en plein Paris occupé devant le siège de la gestapo. Lui résistant, il n'aurait jamais regardé sans rien faire la police française arrêter des femmes et des enfants. Lui résistant, il aurait toujours gardé la tête haute. Lui résistant, il aurait caché chez lui tous les damnés de la terre. Lui résistant, il aurait craché à la face des boches sans s'enfuir. Lui résistant, il aurait eu à 20 ans le courage de défier Himmler, Eichmann, Heydrich et Mengele en leur disant : "Je vous dis bien des choses et je me casse". Lui résistant, il était, est et restera irréprochable. Ca lui donne sans doute le droit aujourd'hui d'être si mauvais, si aigri et si méchant : Que le vieux croupisse dans une geôle, et on viendra cracher sur sa tombe.

H.Vaumoret

Tag(s) : #Etat du monde
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